Le célèbre site Wikileaks, spécialisé dans l’étalage des dossiers secrets de la diplomatie américaine, a mis en ligne hier lundi une liste de sites industriels et infrastructures sensibles à travers le monde que les Etats-Unis veulent protéger d’attaques terroristes. Dans le lot, des mines de cobalt de la RDC représentant près de 36% des réserves mondiales
Le célèbre site Wikileaks, spécialisé dans l’étalage des dossiers secrets de la diplomatie américaine, a mis en ligne hier lundi une liste de sites industriels et infrastructures sensibles à travers le monde que les Etats-Unis veulent protéger d’attaques terroristes. Dans le lot, des mines de cobalt de la RDC représentant près de 36% des réserves mondiales. Kinshasa a-t-il saisi ce message relativement à sa politique étrangère ?
Comme tous les jours depuis plus d'une semaine, le célèbre site Wikileaks, a publié hier lundi la correspondance entre les ambassades américaines à travers le monde et le département d’Etat américain. Le site est rentré en possession d’un télégramme datant de février 2009. Parmi les nouvelles « perles » révélées se trouve une liste d'installations industrielles que les Etats-Unis veulent à tout prix protéger contre d'éventuelles attaques terroristes, un peu partout dans le monde. Les sites situés sur le territoire américain ne sont pas répertoriés.
BARRER LA ROUTE AUX TERRORISTES
En effet, dans le télégramme cité par Wikileaks, le département d’Etat américain demandait aux représentations diplomatiques américaines de recenser les « infrastructures sensibles et ressources clés » à l'étranger « dont la perte affecterait de manière significative la santé publique, la sécurité économique et/ou la sécurité nationale des Etats-Unis ». Pour Washington, cette liste visait également à « prévenir, dissuader et neutraliser ou atténuer les effets d'actes terroristes visant à détruire, bloquer ou exploiter » ces infrastructures.
En quoi alors le sujet intéresserait-il la RDC ? D’abord, le cobalt congolais représente 30 % des réserves mondiales prouvées. Or, ce minerai revêt une importance dans la haute technologie. Raison pour laquelle les Etats-Unis ont estimé utile de le mettre sous contrôle de leur département d’Etat. Il s’agit, comme le précise Wikileaks, d’éviter que ce minerai soit pris en otage par des partenaires hostiles aux Etats-Unis. En clair, Washington éviterait toute perturbation dans l’approvisionnement en cette matière.
Ensuite, même si Wikileaks n’en fait pas mention dans « sa » liste de lundi, il y a, à côté du cobalt, d’autres minerais pour lesquels la RDC représente un intérêt stratégique pour les Etats-Unis. L’on ne devait pas s’étonner de la présence fort remarquée de l’Africom pour la RDC. Tout récemment, son commandant, le général Ward, révélait, depuis sa base de Stuttgart en Allemagne, à un groupe de journalistes congolais l’impératif pour l’administration américaine de stabiliser la région des Grands Lacs afin d’éviter toute exploitation des ressources naturelles de la sous-région.
Dans le même cadre, la loi Dodd-Frank est bien illustrative de la politique américaine au regard des ressources minières de la RDC. Elle a été promulguée au mois de juillet 2010 par le président américain, Barack Obama, après le vote à la Chambre des représentants, le 30 juin 2010, et au Sénat, le 15 juillet 201. Pour l’essentiel, la nouvelle loi américaine exige désormais des compagnies dont les produits contiennent de la cassitérite, du cobalt, du tantale, etc. de faire la déclaration à la SEC (Security and exchange commission) si elles se procurent ces minerais en RDC ou dans les pays voisins. La loi Dodd-Frank requiert également que toutes les informations divulguées fassent l’objet d’un audit indépendant.
Toutes ces initiatives américaines doivent avoir une belle raison. Ce n’est pas par le simple charme de la RDC que les Etats-Unis se déploient dans un premier temps, sur le terrain militaire, avec Africom, et de l’autre, sur un terrain plus judiciaire, en prévoyant des garde-fous pour éviter que les minerais stratégiques tombent entre les mains des contrebandiers et des groupes terroristes.
Outre des infrastructures stratégiques (câbles sous-marins de télécommunications, ports, barrages, oléoducs, gazoducs…), la liste recense également, en dehors des mines de cobalt de la RDC, entre autres, le canal de Panama, d'autres mines en Afrique du Sud et en Amérique Latine ainsi que des entreprises pharmaceutiques produisant des vaccins au Danemark, en Italie, en Allemagne et en Australie.
Contacté au téléphone par notre rédaction sur le sujet, Stephen Weeks, public diplomacy officer à l’ambassade des Etats-Unis en RDC, s’est refusé à tout commentaire. Il a dit ne pas être au courant de cette liste publiée par Wikileaks. Toutefois, il a fait remarquer que « cette liste ne change pas les relations entre les deux pays (Ndlr : Etats-Unis et RDC) ». Et d’ajouter : « C’est dommage qu’il y ait des gens qui essayent d’empêcher la diplomatie de fonctionner normalement ». Il a promis de livrer la réaction de son ambassade incessamment.
S’AFFRANCHIR DE L’INCONSCIENCE
Les révélations de Wikileaks sont bien plus qu’une interpellation. A l’endroit du gouvernement de la RDC. Il est appelé à changer d’attitude en recadrant sa politique étrangère dans le sens de la position et de l’intérêt stratégique de la RDC. La RDC occupe une position géostratégique non seulement en Afrique centrale mais dans tout le continent. Située au cœur de l’Afrique, le pays est au carrefour de différentes sous-régions du continent où s’affrontent des intérêts tout aussi divergents que diversifiés.
Mais, au-delà de sa position géographique, il y a les immenses ressources naturelles de la RDC qui attirent la convoitise de toutes les puissances du monde.
Sur son sous-sol, la RDC regorge de minerais que l’on ne trouve pas facilement ailleurs. A part le cobalt (près de 30% des réserves mondiales prouvées), il garde le monopole des gisements mondiaux du colombo-tantalite (coltan), sans compter d’importantes réserves de la cassitérite. Ajouté à cela 10% des réserves mondiales du cuivre faiblement exploitées.
Alors que le pays fait l’objet de grandes manœuvres dans les grands bureaux d’études pour le contrôle de ses minerais, à Kinshasa, les dirigeants congolais affichent une indifférence déconcertante sur le sujet. Ils ont, dans la plupart des cas, la tête ailleurs. La mise en valeur de riches minerais de la RDC les intéresse de moins en moins.
Ce qui fait dire au sénateur Mutinga dans son dernier ouvrage « RD Congo, la République des inconscients » que « si, sous d’autres cieux, l’abondance des biens ne nuit pas, l’adage a visiblement du mal à s’adapter au contexte actuel de la République démocratique du Congo où l’abondance de vastes potentialités économiques est plutôt porte-malheur ». « Sinon, poursuit-il, comment comprendre que les 60 millions de Congolais restent si pauvres alors qu’ils sont assis sur un matelas de matières précieuses,… ».
Dépité par tant de contradictions, le sénateur note, en fin de compte, qu’ « il y a visiblement quelque chose qui ne marche pas et la responsabilité incombe, en premier, aux différents hauts fonctionnaires de l’Etat (ministres, parlementaires) qui ont eu la charge de décider des politiques publiques du pays ».
Malgré ce constat qui traduit le désespoir, le sénateur croit en la capacité du Congolais à rebondir pour enfin travailler pour l’essor de son pays, en s’appuyant, comme les autres pays émergents, sur ses ressources naturelles pour fonder les bases de son développement. Les pays émergents tels que le Brésil et l’Afrique du Sud l’ont fait. Pourquoi pas la RDC ? Aussi l’auteur pense-t-il qu’« il n’est pas trop tard pour mieux faire et sortir la RDC de la situation de non-Etat dans laquelle elle patauge piteusement depuis des décennies ».
Les nouvelles révélations de Wikileaks devaient servir de détonateur à une véritable prise de conscience de ceux qui ont les commandes de la RDC. L'absence de politique appropriée, pouvant faire des richesses naturelles de la RDC des atouts économiques et scientifiques générateurs de richesses, est à la base de la prédation dont les conséquences sont l'enrichissement de quelques individus au détriment de la population congolaise.